christophe
Lorsque je suis venu à Arès il y a un an à peine, il s’agissait pour moi d’inaugurer la mise en lumière des vitraux créés par mon père pour l’église Saint Vincent de Paul.
Ce fut pour moi, réellement, un moment magique, chargé d’une émotion que j’avais du mal à contenir. Non seulement le spectacle nocturne proposé dépassait tout ce que j’aurais pu imaginer, mais il y avait un caractère d’évidence à cette illumination artificielle des vitraux lorsque le jour disparaît.
Un numéro de la revue France Catholique était consacré récemment à l’histoire du vitrail. Dans un article on pouvait lire qu’un vitrail avait toujours été conçu pour être vu de l’intérieur ; à l’extérieur, il était noir.
Cette évidence historique, ici, à Arès, n’en est plus une, et je trouve cela formidable !
Ce soir encore j’ai la sensation que chaque vitrail se détache dans la nuit tel un tableau exposé dans une galerie d’art dont les murs seraient noirs. Et les quadrilobes seraient les bouches de canon d’un grand navire en route vers le large… Mais des bouches de canons dont la finalité ne serait pas meurtrière mais esthétique et spirituelle.
Cette mise en lumière nocturne avait également révélé que deux verrières demeuraient sombres ; elles ne comportaient aucune œuvre créé par mon père mais simplement des petits losanges sans couleurs, lesquels, très logiquement, n’avaient pas bénéficié d’un éclairage artificiel.
Ce fut très vite une évidence qui s’est imposée à moi, évidence largement partagé par les spectateurs présents ce soir là, ces deux verrières noires rompaient douloureusement l’unité lumineuse et colorée du bel ensemble.
Monsieur le maire, vous m’aviez alors proposé un projet monumental et je vous en remercie : créer un vitrail qui viendrait remplacer une de ces deux verrières sombres. Le fils de Raymond Mirande en a été très fier, le girondin que je suis en a été très honoré… mais l’ego de l’artiste en a un peu souffert. Comment rivaliser en effet avec les 30 vitraux de mon père, comment s’intégrer à un tel ensemble… sans se désintégrer au passage !?
A travers ce projet de vitrail, l’enjeu, périlleux pour moi, était d’établir un lien avec le travail de mon père, tout en proposant une œuvre vitraillée qui soit en résonance avec mon propre univers artistique.
Mon travail, en effet, est en grande partie lié aux Eléments en général, et au Feu en particulier. Le feu et ses ambivalences ; le feu qui brûle et le feu qui protège à la fois. Le feu qui couve sous les braises et le feu qui dévore tout sur son passage. Le feu qui va calciner et qui va purifier. Le feu sacré que l’on va vénérer et le feu destructeur que l’on va craindre.
Le vitrail que j’ai imaginé s’appelle donc ainsi : Feu originel.
Dans une des verrières de l’église il est question du Buisson Ardent, cet arbre qui dans la tradition chrétienne brûle sans jamais se consumer.
Là où mon père se positionnait en conteur d'histoires, jouant avec des figures et des événements clefs de l’ancien et du nouveau testament, j’ai choisi d’évoquer un feu sacré qui pour moi devancerait toute histoire.
Je choisis de mettre en scène le feu comme un des éléments fondateurs de nos origines, lorsque l’Histoire n’avait pas commencé, lorsque la couleur n’existait pas encore. Ce feu, en somme, à l’origine de toutes les religions… et de toute spiritualité.
Là où mon père se positionnait en artiste virtuose de la couleur, chef d’orchestre se jouant des nuances infinies d’un arc en ciel tout en volutes et courbes expressives, j’ai choisi l’esprit du monochrome essentiel, fondamentalement abstrait et géométriquement construit.
Le vitrail que j’ai créé, Feu originel, est donc avant tout composé de teintes, nuances et dégradés issus du feu. Cette intensité monochrome jaune/orangée vise à donner au spectateur la sensation que le feu est à l’intérieur de l’église. En pleine journée, lorsque la lumière du jour est là, il n’est que braises, et couve doucement, attendant son heure. Lorsque la nuit apparaît, les éclairages artificiels révèlent alors une explosion de lumières puissantes et chaudes.
Cette double perception jour/nuit, sur un plan technique, a pu être réalisée grâce à l’inclusion d’éléments émaillés sur cuivre, qui demeurent visibles en pleine journée et qui deviennent des ombres chinoises la nuit.
Le fait d’inclure des plaques de cuivre émaillées dans ce vitrail est pour moi source d’une double satisfaction ; la satisfaction de l’artiste plasticien qui aime avant tout concevoir, sans limite de savoir-faire, les projets qui lui passent par la tête, et la satisfaction de l’artisan qui aime également travailler ses matières de prédilection et les utiliser dans ses propres créations.
A ma connaissance l’inclusion d’émaux sur cuivre dans un vitrail n’a jamais été réalisée auparavant.
En parfaite continuité cette fois avec les vitraux plus anciens présents dans l’église, j’ai choisi d’utiliser des verres soufflés et colorés dans la masse, porteurs de disparités et bulles naturelles liées à la fabrication, ce qui au final les rendent individuellement tous uniques. Ces verres soufflés jouent ainsi avec la lumière en harmonie avec les vitraux adjacents.
Ce choix d’employer des verres bruts teintés dans la masse, totalement dépourvus de la moindre peinture comme cela est couramment pratiqué, donne une intensité et une présence particulière à l’ensemble des vitraux de cette église.
Mon père, qui travaillait de ses mains uniquement l’émaillage sur cuivre, disait à propos de ses créations vitraillées qu’il se considérait comme un « faiseur de maquette » ; son travail consistait essentiellement à dessiner sur papier, colorier les motifs créés, et ensuite à choisir les verres qui allaient entrer dans la composition et la réalisation des vitraux.
L’assemblage et la pose étaient confiés à un maître verrier ; Jacques Dupuis au début de sa carrière, Bernard Fournier les dernières années.
Dans la même logique que mon père j’ai donc fait appel à Amandine Steck, qui exerce son métier de Maitre Verrier à Honfleur, et sans laquelle cette belle aventure n’aurait pu aboutir. Je tiens à saluer son enthousiasme sans faille, son sens de l’innovation, et tout simplement son expertise.
Quelques mots enfin à propos d’un autre volet important de ce chantier lié aux vitraux de l’église.
Je voudrais évoquer le choix de déplacer le vitrail intitulé Résurrection de Lazare. Créé par mon père en même temps que les autres, ce vitrail avait été placé à l’intérieur de l’église, et donnait sur l’escalier qui conduit à l’orgue. A cause de son emplacement il était sous-éclairé ; n’ayant jamais bénéficié d’un éclairage naturel suffisant, ni même d’un éclairage artificiel, ses couleurs semblaient ternes et sans vie. Le déplacer et le positionner à la place de la deuxième verrière « vide » sur le côté de l’église, m’a semblé juste. L’éclairage nocturne, effectivement, lui a redonné sa vivacité, sa brillance et sa profondeur.
Le déplacement de Lazare - et son remplacement par un vitrage transparent - permet en outre au vitrail créé, Feu originel, d’être vu partiellement à l’intérieur de l’église. Ses proportions tronquées le font ressembler à un soleil qui viendrait discrètement répandre ses rayons dans le chœur.
Au final, les deux verrières sombres n’existent plus ; deux créations ont pris place avec bonheur. Cette église est devenue une véritable sculpture de lumière, de couleur et de feu, offerte aux yeux de tous dès la nuit tombée, et j’en suis profondément heureux.
Si j’avais un rêve à formuler, ce serait que l’exemple d’Arès ne demeure pas un cas isolé.
Et si toutes les paroisses et les communes de France faisaient le choix d’éclairer leurs églises de l’intérieur, la nuit, afin que les lumières de l’art et de l’esprit diffusent leurs feux et leurs rayonnements… voilà me semble t il un programme qui pourrait ravir croyants et incroyants. Faire ainsi de nos églises des sculptures lumineuses dont la présence nocturne serait semblable à celle d’un phare dans la tempête...
Christophe Mirande
Arès, le 16 septembre 2023