christophe
Jean Baly
1902 - 1975
Du 16 juin au 15 octobre 2023
" Qu'en tout temps tes vêtements soient blancs,
et que l'huile ne manque point sur ta tête."
( Ecclésiaste 9, 8 )
Dominique Baly
1949
présentation - scènes - œuvres - informations
Rencontre d’un grand-père tout d’abord, prisonnier de guerre et déporté… Et rencontre de son fils ensuite, actuellement moine chartreux à la Grande Chartreuse, dans la région de Grenoble.
L’histoire que je raconte à travers mon exposition est sortie d’un carton à chaussures comme un diable de sa boîte.
Ce fut en effet la découverte, il y a quelques mois, d'une vieille photographie, un groupe de soldats de l’armée française de 1939, alignés et superposés comme de sages écoliers. Parmi ces soldats, mon grand-père maternel, que j’ai très vite reconnu.
Et au dos de cette photographie, une mention écrite à la main :
« Jean Baly, matricule 65281, Stalag II C »
De ce grand-père discret, presque effacé, je venais d’entrevoir une autre réalité que celle forgée par ma famille durant des années.
Lorsqu’il est mort, en 1975, j’avais alors 8 ans, et les souvenirs que j’en conserve sont quasi inexistants tant sa présence était imprégnée d’un silence insondable.
On m’expliquait cela par le fait qu’il était parti travailler en Allemagne pendant 5 ans… parce qu’il était vosgien… Cela découlait presque d’une certaine évidence, cela relevait de l’anecdote semble-t-il.
Et puis aujourd’hui ce mot, glaçant : Stalag. Un camp de concentration pour prisonnier de guerre.
Ainsi le diable est sorti de sa boîte… et le temps des questions est venu.
Une en particulier, émergente parmi les autres.
Quelle relation pouvait-on faire entre ce grand-père déporté et le fait qu’un de ses fils se soit consacré à Dieu ?
Dominique Baly, fils de Jean.
Frère Misaël Marie, chartreux à la Grande Chartreuse.
C’est cette question que j’ai choisi de poser à travers les œuvres présentées ici.
Les mémoires familiales sont défaillantes, fragiles, volontairement oublieuses parfois.
Et puis, comme je l’ai entendu maintes fois de la bouche de ma mère, Nicole, et de sa sœur Françoise, à l’époque on ne parlait pas.
Les enfants ne posaient pas de questions à leurs parents. C’était comme ça. Et de fait elles ne savaient presque rien sur leur père Jean, ou si peu de choses.
Car Jean lui même ne parlait pas, sans doute ne pouvait-il pas mettre des mots sur ce qu'il avait vécu. Ses années de Stalag demeuraient enfermées, profondéments dissimulées derrière un mur de silence...
Afin de préparer cet évènement, il y a quelques semaines, je me suis rendu à la Grande Chartreuse, et j’ai essayé d’en parler à cet oncle chartreux, âgé de 74 ans aujourd’hui.
De ses propos je ne retiendrai que cette phrase, radicale et essentielle :
« Je n’ai pas eu de père ; il avait passé 5 ans en enfer ».
Quant au sujet de mon exposition, il n’avait rien contre, mais il ne voyait pas vraiment le rapport avec lui. Une seule chose : il ne voulait pas que son visage apparaisse en photographie, au grand jour.
Au final j’ai tenté d’explorer un sujet dont je ne sais encore presque rien. Cette exploration est faite de questions avant tout.
Et de l’intime conviction qu’on ne devient pas chartreux par hasard, sans qu’une raison impérieuse, profonde et puissante, incontrôlable, ne prenne le pas sur le désir de vivre librement sa vie d’homme.
Les œuvres que je présente dans cette exposition sont nées essentiellement de cette perception d’artiste, et incarnées par les matières qui entrent habituellement dans mes compositions : l’émail sur cuivre ou acier, le zinc, le bitume. Des matières dures et fortes, qui me semblent entrer en résonnance parfaite avec les vieilles pierres de cette ancienne chartreuse.
25 œuvres sont présentées au total, et une dizaine a été créée spécialement pour cet événement. Les œuvres plus anciennes qui ont été choisies me semblaient coller au sujet abordé.
Voilà. J’aimerais au final que cette exposition soit un hommage à Jean, et à travers lui à tous ceux de sa génération qui ont vécu l’enfer des camps.
Un hommage à ce grand-père effacé de l’histoire parce que, peut-être, contrairement aux poilus de 14-18, il avait eu le tord de perdre la guerre.
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Scène n°1 - Matricule et Stalag
Les 5 années de mon grand-père passées en Stalag.
De fines feuilles de cuivre, froissées, brisées, et clouées, nous parlent de l'impermanence de l'humain, de la fragilité du vivant.
Leur perception est aléatoire car la lumière y est vibrante et changeante.
La lumière joue avec les déformations de l'émail comme elle le ferait avec les rides sur la peau.
Lumière fugace, incertaine, et mouvante au gré des déplacements du spectateur.
Année 1
Les Eléments emprisonnés.
Feuilles de cuivre émaillées, superposées et juxtaposées, feuilles de couleur chair.
Références au monde d'avant le stalag.
Année 2
Les Eléments ont disparus ; ne subsiste que l'humain, douloureux.
Feuilles de cuivre émaillées oxydées.
La chair et le sang.
Chair écorchée, peau à vif.
Année 3
L'humain se réduit à un nombre, à un matricule. 65281.
Des chiffres en zinc, comme la plaque originelle de chaque prisonnier.
Le chiffre 1, central.
Un chiffre perdu au milieu des autres, ceux en zinc, et ceux qui se poursuivent, gravés sur le cuivre, sous l'émail, presque imperceptibles. Les chiffres de tous les autres prisonniers. Suite sans fin de matricules.
Jean Baly. Un et indivisible.
Année 4
Soleil de feu et barbelés rouge sang.
Soleil qui réchauffe et qui brûle.
Feu destructeur et... purificateur ?
Année 5
Les repères de l'ancien monde n'existent plus.
Confusion des sens, des perceptions, de l'humain en ce qu'il a d'essentiel.
Ombre et lumière du feu.
Scène n°2 - Paysages de Poméranie
La plupart des Stalags se situaient dans la région de Poméranie, à cheval sur les frontières allemandes et polonaises.
Les cinq tableaux présentés sur ce mur évoquent ces paysages.
Des paysages fantastiques qui sortent directement de mon imagination d'artiste.
Les deux tableaux de gauche montrent des formes devenues grotesques ; humains et forêts semblent se confondre de manière inquiétante.
Un environnement de forêts calcinées au sein desquelles le feu couve, la vie y est vacillante, entre extinction et renaissance.
Des paysages durs faits de zinc, d'émail, d'acier et d'ardoise.
Des matières oxydées, gravées, patinées, cirées... travaillées de telle sorte qu'elles puissent jouer avec la lumière incidente du lieu. Et finalement susciter brutalité et douceur.
Des paysages de neige et de feu.
Perceptions intérieures sombres et sereines à la fois, traversées de braises incandescentes et ambivalentes, qui réchauffent et qui brûlent.
Scène n°3 - Travail au camp
Le travail et l'humain s'entremêlent douloureusement dans ces œuvres.
Le travail constitue le seul lien du prisonnier avec son humanité d'avant.
L'être social subsiste à travers des activités diverses et manuelles : tailler des vêtements, casser des cailloux pour fabriquer des routes...
Ces travaux quotidiens donnent sens au quotidien du prisonnier, et en même temps le brisent.
Camp de travail, camp de concentration, camp d'extermination "douce"...
La vie d'homme du prisonnier part en lambeaux ; son rapport au monde de la culture, de la pensée et de la réflexion, s'estompe inexorablement.
Formes géométriques du travail, dures et impitoyables, pensées pour consummer le soldat déchu, le brûler progressivement au fil des années d'enfermement.
Et ne subsistent finalement que des morceaux difformes de peaux fripées, déchirées, explosées.
Fragments blancs d'humanité détruite.
Scène n°4 - Silence cartusien
Dominique Baly, fils de Jean.
Frère Misaël Marie, chartreux à la Grande Chartreuse.
Se consacrer à une vie de chartreux c'est embrasser le monde du silence. Semblable à celui des grands fonds marins, le silence cartusien semble absorber toute vie.
Les abysses de l'âme.
Et cependant les failles essentielles subsistent, ne demandent qu'à réapparaitre. On ne peut faire table rase du passé, supprimer sa propre histoire sous un manteau blanc immaculé.
CM085 (détail)
Jean et Dominique se font face pour l'éternité.
L'humanité blessée du déporté et l'humanité souffrante du chartreux se répondent devant l'éternité.
Et le silence cartusien n'étouffe rien.
Scène n°5 - Constellation familiale
Une constellation familiale permet de mettre en lumière la manière dont nous sommes liés à nos ancêtres.
Sa finalité est de rétablir l'ordre dans le système familial et de permettre à chaque membre d'avoir sa juste place et d'assumer ses responsabilités.
Tableau 1
Il y a Suzanne, épouse de Jean.
Et il y a Simone, Nicole, Françoise, Daniel...
Tableau 2
Jean, enfermé pendant 5 ans dans un Stalag.
Tableau 3
Quelque chose s'est alors passé, d'un autre ordre.
Rencontre. Transmission. Incandescence.
Tableau 4
Dominique, tout de blanc vêtu. Dernier de la fratrie.
Et "auto-enfermé" depuis de longues années dans un Monastère.
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